Des hyènes au Yukon?

Peinture d’un artiste illustrant des hyènes de l’Arctique du gène Chasmaporthetes.
Image : Julius T. Csotonyi

Certains riront si on leur parle de hyènes foulant le sol de l’Arctique, mais la récente identification de deux dents d’hyénidés trouvées dans le bassin d’Old Crow, dans le nord du Yukon, démontre la véracité des faits. Les dents de hyènes, provenant du Chasmaporthetes cf. C. ossifragus, étoffent le récit de la migration de l’époque pléistocène jusqu’en Amérique du Nord par le pont continental de Béring. Avant la découverte des dents à Old Crow, les fossiles découverts le plus au nord de l’Amérique du Nord étaient à Meade County, au Kansas. Cette découverte et les 4 000 kilomètres séparant le Yukon et le Kansas ont considérablement élargi le territoire connu du Chasmaporthetes et sont les fossiles de hyènes trouvés le plus au nord à ce jour. Des scientifiques croyaient que le Chasmaporthetes avait traversé le pont continental de Béring pour atteindre l’Amérique du Nord, mais n’avaient aucune preuve solide pour soutenir leur hypothèse. Les fossiles ont été entreposés durant près de 40 ans après avoir été provisoirement identifiés comme appartenant à la famille des hyénidés par des paléontologues des années 1980. Beaucoup plus tard, Jack Tseng, paléontologue de l’Université de Buffalo, les examina, et les dents furent officiellement identifiées comme appartenant au genre Chasmaporthetes.

L’une des dents fossilisées trouvées à Old Crow, au Yukon, en 1977. Ces dents sont les premiers fossiles connus de hyènes provenant de l’Arctique. Source : Grant Zazula / Gouvernement du Yukon

Les Chasmaporthetes sont apparues en Amérique du Nord il y a environ cinq millions d’années et ont survécu environ quatre millions d’années, bien que les deux spécimens trouvés au Yukon sont estimés, par l’équipe de recherche, à environ 1,5 à 0,85 million d’années. Les hyènes modernes vivent exclusivement en Afrique, au Moyen-Orient et en Inde. Il est donc étonnant de parler de hyènes vivant dans l’Arctique à l’époque pléistocène, mieux connue sous le nom d’ère glaciaire.  Les spécimens Chasmaporthetes trouvés à Old Crow pourraient s’être adaptés pour survivre aux conditions difficiles de l’Arctique (une fourrure plus épaisse, ou qui change de couleur selon les saisons à la manière du lièvre arctique). En plus de ces adaptations, le Chasmaporthetes arbore aussi des traits similaires à ceux de la hyène tachetée moderne (Crocuta crocuta). Le Chasmaporthetes a des mâchoires puissantes, parfaites pour briser des os, similaires à celles de la hyène tachetée. Toutefois, contrairement à sa cousine, le Chasmaporthetes a aussi de longues pattes, idéales pour la course, qui lui valent le surnom de hyène coureuse. La combinaison de ces longues pattes et de ces mâchoires puissantes indique que bien que le Chasmaporthetes était un charognard accompli, il avait aussi la capacité de chasser d’autres animaux du pléistocène arctique comme le caribou, voire même des mammouths juvéniles. Avec toutes ces adaptations possibles, il est difficile pour les scientifiques de déterminer pourquoi le Chasmaporthetes s’est éteint dans l’Arctique. Une théorie probable est que d’autres espèces du pléistocène, comme l’ours à face courte (Arctodus simus) ou le Borophagus, un chien avec des mâchoires pouvant briser les os, pourraient avoir supplanté les hyènes pour l’accès aux proies et aux carcasses. Les deux seuls spécimens trouvés au Yukon n’en disent malheureusement pas long sur la cause de l’extinction de ces animaux.

            Les résultats de l’étude menée par Jack Tseng et ses collaborateurs Grant Zazula et Lars Werdelin ont été publiés dans le journal Open Quaternary. L’étude a aussi fait l’objet de reportages dans la presse grand public, comme le National Geographic, le New York Times, et l’Atlantic.